Et si les vélos loufoques constituaient l’un des leviers les plus efficaces pour faire monter des non-cyclistes sur des vélos ? C’est l’hypothèse que Vélosophia a récemment testée à travers une série d’expériences pilotes menées en 2024 et 2025. Les résultats mettent en évidence un fort potentiel du vélo ludique pour déclencher une première expérience positive du vélo parmi les publics les plus éloignés de la pratique cycliste.
Depuis près de quinze ans, Pascal Mageren, fondateur de l’association Vélosophia, expérimente l’usage de vélos artistiques, décalés ou surprenants comme vecteurs d’émotion et de lien social.
« Les vélos originaux ou surprenants laissent très peu de personnes indifférentes », explique-t-il. « Peu importe l’âge, la culture, le niveau social ou le rapport préalable au vélo. Peu importe l’âge, la culture ou le rapport préalable au vélo : le visage s’illumine, les sourires se multiplient et les regards retrouvent un peu de l’enfance. Il se passe quelque chose d’universel et profondément humain. »
Partant de ce constat, Vélosophia a conçu une série de tests de terrain pour évaluer, de manière empirique, la capacité des vélos ludiques ou loufoques à susciter un intérêt pour le vélo et à déclencher une mise en selle chez les non-cyclistes, avec potentiellement un changement durable de comportement à la clé. Bref, dans quelle mesure l’utilisation de vélos ludiques peut-elle contribuer à encourager la pratique du vélo ?
Méthodologie
Les expérimentations ont été menées à Charleroi, ville symboliquement éloignée de la culture cycliste, sur la place Verte, un espace public fréquenté majoritairement par des piétons venus faire du shopping.
Sans communication préalable, l’équipe Vélosophia installait un vélo original et proposait spontanément aux passants de l’essayer. L’expérience était présentée comme un défi collectif : faire tester le vélo par le plus grand nombre de personnes possible.
Deux dispositifs ont été expérimentés :
- Défi #1 (2024) : un vélo triplette (tandem pour trois personnes) — 200 participants.
- Défi #3 (2025) : un vélo à bottes (vélo enfant dont la roue avant est remplacée par huit bottes) — 50 participants.
Chaque participant répondait ensuite à un bref questionnaire sur sa possession de vélo, sa fréquence de pratique et son intérêt pour de futures activités.
Résultats principaux
Défi #1 – Le vélo triplette
Sur 200 participants :
- 22,2 % ne faisaient jamais de vélo,
- 13,1 % roulaient une fois par an,
- 5,1 % pratiquaient deux à trois fois par an.
Cela signifie que nous avons réussi à faire monter sur la triplette environ 80 personnes (soit 40 % des participants) qui ne pratiquent jamais ou rarement le vélo !
À l’inverse, 47,5 % déclaraient rouler au moins une fois par semaine, un chiffre étonnamment élevé pour ce contexte carolo perçu comme extrêmement peu favorable au vélo.
Qui aurait cru que cette expérience en plein centre-ville de Charleroi allait révéler un tel niveau de pratique du vélo dans notre échantillon ? Force est d’en conclure qu’il y a bien plus de cyclistes qu’on ne le pense dans la région mais qu’ils restent peu visibles aux yeux du grand public car la perception dominante est qu’il n’y a pas de cyclistes à Charleroi…
Autres enseignements notables :
- Le vélo ludique agit comme un aimant social, attirant spontanément les passants sans démarchage actif ;
- 15 % des participants ne possédaient pas de vélo ;
- 32 % se sont inscrits à la newsletter de Vélosophia, dont 21 non-cyclistes.
L’analyse détaillée des réponses révèle que 21 personnes ne pratiquant jamais ou rarement le vélo ont été séduites par l’activité au point de s’inscrire à la newsletter !
Les plus observateurs remarqueront dans l’illustration ci-dessous que non seulement les six catégories de profils d’usagers du vélo prédéfinies (6 couleurs) sont représentées dans les inscriptions à la newsletter mais qu’en plus, la distribution correspond pratiquement à celle du premier graphique ci-dessus, ce qui signifie que proportionnellement l’intérêt pour la newsletter a été identique dans chacune des catégories.
Défi #3 – Le vélo à bottes
Un an plus tard, la reproduction du test avec un dispositif encore plus surprenant (vélo à bottes) a confirmé les tendances observées.
Malgré la taille réduite du vélo (taille enfant), l’enthousiasme intergénérationnel a été au rendez-vous. De nombreux adultes autorisés à essayer le vélo semblaient retrouver une âme d’enfance une fois en selle.
Les indicateurs clés (niveau de participation, profils d’usagers, inscriptions à la newsletter, profils des inscrits à la newsletter) ont été quasi identiques à ceux du premier défi, confirmant la robustesse des observations.
Que retenir de ces expériences sur le vélo ludique ?
Les deux expérimentations, totalisant 250 participants, démontrent que le vélo ludique constitue un outil d’activation prometteur dans les stratégies de promotion du vélo.
Le grand défi de la plupart des campagnes de promotion du vélo est de parvenir à toucher, mobiliser et activer les non-cyclistes. La mission n’est en effet pas de convaincre des convaincus mais bien de toucher efficacement un public non encore acquis à la cause.
Dans ce contexte, le vélo ludique permet de créer un point d’entrée émotionnel, fondé sur la curiosité, le plaisir et le jeu, particulièrement efficace pour, d’une part, capter l’attention de cette cible spécifique et, d’autre part, engager un échange porteur en termes de conversion.
L’un des intérêts de la démarche développée autour du vélo ludique est précisément qu’elle ne s’apparente pas à une tentative de conversion. Nous n’essayons pas de convaincre les gens. Nous ne tenons aucun discours quant à de quelconques bienfaits de la pratique avec des arguments rationnels. L’approche se veut plus subtile.
En laissant les gens s’amuser et vivre une expérience originale, ils se placent eux-mêmes dans un état émotionnel réceptif. Sans s’en rendre compte, les participants viennent de franchir la première étape d’une possible adoption. Et tout devient ensuite beaucoup plus facile.
Dès lors qu’on vit une expérience s’apparentant à un moment positif fort, le réflexe naturel de l’être humain est de vouloir le partager. D’où l’idée de favoriser la viralité en immortalisant le moment en prenant une photo des participants sur le vélo ludique. Outre un sympathique souvenir (fort apprécié), cette photo offre l’opportunité unique de transformer les participants en véritables ambassadeurs, et ce peu importe leur degré d’affinité actuel avec le vélo. Par ailleurs, cette photo constitue une image forte, indispensable pour marquer les esprits dans la durée.
De toute évidence, un simple essai de vélo ludique ne va pas transformer le quidam en cycliste quotidien. Toutefois, la répétition dans le temps de ce type d’animations basées sur l’amusement et des expériences originales et surprenantes présente un réel potentiel de conversion.
Chaque expérience devient en effet un micro-événement positif, susceptible de s’inscrire dans la mémoire et d’amorcer un processus de changement durable.
Si l’on considère un tunnel de conversion reprenant les 6 profils d’usagers du vélo évoqués ci-avant, chaque nouvelle activité ludique peut devenir un levier pour faire progresser les participants d’un niveau.
Recommandations pour les politiques de mobilité
Ces résultats invitent les acteurs du vélo, les collectivités, les mobility managers et autres organisations de promotion du vélo à considérer le potentiel stratégique du vélo ludique :
- Créer des opportunités d’expériences positives et accessibles.
- Intégrer la créativité et le jeu dans les programmes et campagnes de sensibilisation.
- Favoriser la visibilité des cyclistes à travers des initiatives festives, artistiques ou participatives.
- Répliquer le modèle expérimental dans d’autres contextes urbains, semi-ruraux et ruraux pour en confirmer la validité statistique.
Pour Vélosophia, la combinaison d’approches culturelles et ludiques devrait devenir un complément essentiel aux politiques d’infrastructures, de sécurité routière et de promotion du vélo, en agissant sur la dimension émotionnelle pour développer la mobilité active.
Perspectives
Dans une logique de fidélisation, Vélosophia entend à présent multiplier les activités pour proposer une programmation culturelle vélo originale tout au long de l’année, afin de renforcer la relation entre créativité, plaisir et mobilité active.
Les expériences menées démontrent qu’une politique du vélo plus fun peut être un levier puissant pour faire évoluer les mentalités et ramener la pratique cycliste au cœur de nos villes et villages.
Pour rappel, les trois grands objectifs de l’association Vélosophia sont de susciter la sympathie pour le vélo, de rendre la pratique du vélo plus fun et d’inspirer la mise en œuvre de bonnes pratiques en la matière à plus grande échelle. Nous nous tenons bien entendu à votre disposition si vous êtes intéressé(e)s par notre démarche, une collaboration ou une participation à un projet pilote sur votre territoire.






